Carmen Rodríguez de France, Ph. D.
Éducation autochtone, University of Victoria
Je me souviens de l’avoir vue déposer sa serviette et retirer son sarrau blanc lors de sa dernière journée de travail; après 35 ans, ma mère, psychiatre, avait décidé de prendre sa retraite. Pendant que je la regardais poser ses affaires sur le lit, j’avais dans ma tête des images de moi très jeune, l’admirant pendant qu’elle se peignait, se maquillait et ramassait ses affaires pour aller au travail. Je me souviens d’avoir été fascinée par sa beauté, même si elle était parfois prête à répéter les paroles de sa grand-mère, qui l’avait élevée : « Tu n’es pas jolie, tu es pauvre et tu es prieta » (ce qui signifiait « d’un teint foncé »). Ces mots ont imprégné l’éducation de ma mère, sa vie ainsi que l’éthique et les valeurs qui ont fini par faire partie de ma propre vie.
Être jolie, intelligente, riche ou d’un teint clair sont peut-être des valeurs que certains pourraient encore tenir en haute estime en parlant de leadership et de succès. En écoutant ma mère et en apprenant d’elle, j’ai adopté une définition du leadership qui comprend la compassion, l’empathie, l’amour et le respect. Les paroles de sa grand-mère n’étaient pas seulement des rappels de l’identité de ma mère en raison de sa condition sociale et de son héritage; mon arrière-grand-mère (que je n’ai connue qu’à travers des histoires que l’on m’a racontées) était aussi gentille et douce quand elle disait à ma mère : « Le respect est la façon la plus simple de témoigner de l’amour ». Il peut sembler paradoxal de penser à ces deux scénarios faisant appel à des mots forts et apparemment irrespectueux, mais le fait que ma mère soit mon meilleur modèle de rôle me démontre que les valeurs et les principes sont ancrés dans ce que nous faisons, et peut-être moins dans ce que nous disons.
Ma mère a été professeure dans une école de sciences infirmières pendant 25 ans, en plus d’avoir sa pratique privée et d’occuper un poste de direction pendant 10 ans. Tout cela en s’occupant d’une maisonnée avec quatre enfants nés en quatre ans, d’un mari qui était médecin et de quelques chiens au fil des ans. Elle m’a appris comment trouver un équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, rester en santé, demeurer optimiste et demeurer en contact avec le monde et avec moi-même. En tant qu’éducatrice, j’aspire à ne pas perdre mon optimisme et ma persévérance malgré les changements. Je veux promouvoir le leadership comme une façon d’être dans le monde, et non comme un poste que l’on occupe pendant un mandat de cinq ans ou dans le cadre d’un titre.
Le leadership peut revêtir de nombreuses formes : depuis un poste bien rémunéré au prestige qu’il apporte, en passant par le respect des mentors, des collègues et des étudiants. Le leadership, ce sont des paroles qui poussent à aller plus loin, qui respectent diverses façons d’être et qui aident ceux qui nous entourent à devenir ce qu’ils sont censés être. Le leadership suppose du tact, de l’empathie, de la compassion, de la guidance, du mentorat, de la collégialité, des mots d’encouragement, de la réflexion et de la discrétion. Du tact pour se faire rappeler que tout le monde a sa propre histoire; de l’empathie pour comprendre ceux qui nous entourent; de la compassion pour considérer tout le monde sur un pied d’égalité; de la guidance, toujours en donnant l’exemple; du mentorat pour faciliter l’apprentissage; de la collégialité pour rester connecté; des mots d’encouragement adressés à soi-même et aux autres; de la réflexion pour bien reconnaître son privilège de travailler dans un milieu universitaire; de la discrétion dans ses paroles et ses actions.
Le leadership doit aussi prendre la forme de la justesse, de l’égalité, de l’équité, de la justice et de l’équilibre. La justesse pour agir quand c’est nécessaire; l’égalité et l’équité pour respecter les droits innés de chaque personne; la justice pour traiter chaque personne en fonction des circonstances; l’équilibre pour se rappeler qu’il y a toujours deux côtés à une médaille.
Peut-être que la vision de mon arrière-grand-mère était qu’il fallait être jolie, riche et d’un teint clair pour diriger ou réussir. Peut-être a-t-elle prononcé ces paroles pour faire comprendre toute l’importance d’avoir une éthique de travail et des principes solides pour réussir. Peut-être que ses paroles étaient un rappel des possibilités que ma mère aurait en acquérant une formation universitaire (ce que mon arrière-grand-mère n’a pas eue).
En faisant des études de médecine, en aidant à élever ses quatre frères et sœurs, en étant la première femme psychiatre du nord-est du Mexique et en élevant quatre enfants avec mon père, ma mère a prouvé qu’on prêche par l’exemple. Elle a prouvé qu’il y a toujours deux côtés à une médaille.