Sandra Becker
Werklund School of Education
University of Calgary
(Dr. Mimi Masson, University of Ottawa, traductrice)
Que signifie être productif en tant que chercheur ? Est-ce le nombre d’articles et de présentations produits ? Les publications dans des revues à fort impact ? Des collaborations de recherche avec des leaders dans le domaine ou les communautés que nous servons ? En examinant ces questions, il serait sage de considérer l’étymologie du mot “productif”. Dérivé du mot produire qui signifie “avancer ; faire naître ; étendre en longueur”, il est lié au latin prōdūcere, pro + ducere signifiant “mener”. (The Concise Oxford Dictionary of English Etymology, 2003). Si la productivité d’un chercheur est liée au leadership, comment cela se manifeste-t-il ? Nygard (2017) articule quatre sites de négociation qui sont ressortis d’une étude sur la productivité de la rédaction scientifique dans un institut de recherche en Norvège : (a) le genre, c’est-à-dire la manière dont les chercheurs déterminent la forme que doivent prendre les résultats de la recherche ; (b) la collaboration, c’est-à-dire le choix de la co-écriture ; (c) la qualité, c’est-à-dire le choix du lieu de publication ; et (d) le processus, c’est-à-dire la compréhension de la manière dont les individus s’engagent dans l’écriture.
Dans le cas de la 10e conférence de travail de l’Association canadienne pour la formation des enseignants (ACFE), qui s’est tenue à l’université Wilfrid Laurier à Waterloo, Ontario, du 24 au 26 octobre 2019, les trois premiers des quatre sites de négociation de Nygard (2017) ont été établis à l’avance, laissant le processus de rédaction comme principal objet de la réunion. La conférence de travail de l’ACFE, qui se tient tous les deux ans, est l’occasion pour les chercheurs de tout le pays de se réunir pour présenter et discuter de leurs recherches actuelles sur la formation des enseignants et aussi pour engager un dialogue scientifique sur les diverses approches envers ces recherches. Les auteurs s’engagent dans la construction de connaissances au sein de la communauté en partageant des idées et des réflexions sur leur propre travaux et en offrant des idées, des rétroactions et des suggestions sur les écrits partagés par d’autres auteurs. Les auteurs établissent des liens avec des questions de recherche plus larges, de la littérature et des méthodologies qu’ils n’ont peut-être pas envisagées et qui élargissent souvent la réflexion collective sur le sujet partagé. L’objectif final de la conférence de travail est d’offrir une communauté au sein de laquelle les chercheurs peuvent étoffer les idées liées à la formation des enseignants canadiens, en apportant une contribution de recherche évaluée par des pairs à une publication nationale actuelle et opportune.
Pour les chercheurs en début de carrière comme pour les universitaires plus chevronnés, la rédaction d’articles universitaires peut constituer un aspect stimulant et stressant de l’expérience universitaire (Belcher, 2019 ; Heron et al., 2020). Les avantages de la rédaction universitaire sont notamment la stimulation intellectuelle, l’activation de la réflexion, la création de réseaux de recherche collaboratifs et de soutien, et le développement de l’identité académique (Dwyer et al., 2012 ; Hammond, 2020 ; Heron et al., 2020). Il existe toutefois des tensions dans l’exercice de rédaction académique, qui incluent la pression de la production sur le processus et les sentiments liés à l’insécurité et au rejet dans le développement de l’identité académique (Dakka & Wade, 2019 ; French, 2020 ; Hammond, 2020 ; Heron et al., 2020).
L’atmosphère de la conférence de travail de l’ACFE était détendue et favorable, tout en étant ciblée et intentionnelle. En tant que chercheur en début de carrière, j’ai trouvé que le processus comprenait juste le bon mélange de discussions universitaires formelles et informelles et de possibilités de mise en réseau. Les thèmes de chaque conférence de travail sont choisis de manière à ce qu’ils soient suffisamment larges et inclusifs pour inviter un éventail d’idées créatives et de recherches dans le domaine de la formation des enseignants, mais délimités de manière à pouvoir être publiés dans un volume de livre électronique cohérent. Le thème de la 10e conférence de travail était “Préparer les enseignants à concevoir des programmes d’études”, ce qui s’accordait bien avec mes recherches de doctorat sur les enseignants concepteurs dans les environnements ” makerspace “. Les participants dont les propositions initiales ont été sélectionnées ont été regroupés en fonction de quatre sous-thèmes de recherche : l’engagement des étudiants, la conception pédagogique, la réflexion disciplinaire et les stages et divisions scolaires. Avant de participer à la conférence, nous avons envoyé des ébauches de nos documents de recherche aux membres du groupe afin de pouvoir lire et préparer la rétroaction à l’avance, nous engager de manière réfléchie et intentionnelle avec les documents des autres participants pendant la conférence, puis poursuivre notre rédaction académique. Nous avons tous quitté la conférence en sachant que nous allions participer à l’examen par les pairs des derniers chapitres liés à notre thème. La conférence elle-même comprenait des présentations de groupes entiers avec des possibilités d’engagement et d’interaction, des sessions en petits groupes impliquant un examen approfondi des communications des participants par thème, un orateur invité, et du réseautage lors de dîners dans des restaurants locaux.
La conférence de travail de l’ACFE a été une introduction intéressante à la rédaction de recherches collaboratives et à l’évaluation par les pairs dans un cadre national, en dehors de mon université d’origine. Pour ce nouveau chercheur, la nature contextuelle de l’écriture établie dans les objectifs et le cadre de la conférence m’a permis d’observer et de participer à “différentes conceptualisations de l’écriture et de la productivité universitaires” (Nygard, 2017, p. 520). La communauté nationale des formateurs d’enseignants présents à la conférence de travail avait des approches très différentes pour concevoir la formation des enseignants dans leurs contextes locaux, souvent en raison de leurs populations d’étudiants uniques et de leurs priorités institutionnelles. En particulier, j’ai noté de manière anecdotique que le fait de venir d’une grande université à forte intensité de recherche, par opposition à d’autres participants dont les locaux étaient plus petits et l’enseignement plus intensif, a conduit à des points de vue uniques dans le processus de rédaction. Par exemple, des chercheurs de l’université de la vallée du Fraser ont abordé le sujet des micro-agressions avec les étudiants en concevant un programme de justice sociale innovant spécifiquement pour leur lieu de travail (McMath et al., 2021), et un chercheur du Red River College a exploré la création d’un micropracticum comme un pont de soutien entre l’enseignement dans une salle de classe du campus et une expérience pratique complète (Brown & Jacobsen, 2021). Ces approches innovantes des défis de la formation des enseignants identifiés au niveau local étaient en juxtaposition, par exemple, à une collaboration entre des chercheurs de l’Université Nipissing pour le développement d’un programme d’éducation à l’innovation destiné aux enseignants du Canada (Black et al., 2021). Nygard states “productivity will depend greatly on the researcher’s subjective understanding of their own identity (including abilities, desires, and fears); their subjective interpretation of their institutional environments (including expectations and values); and their own (perceptions of) agency within these constraints” (p. 529). It was my experience that framing research in local contexts in relation to feedback provided by colleagues from across the country resulted in productive and agential insights into myself as researcher, while at the same time enabling me to build a broader appreciation for diverse institutional approaches to teacher education across the country.
Un an après la 10e conférence de travail de l’ACFE, sous la direction des rédactrices Jodi Nickel et Michele Jacobsen, les participants ont célébré la publication de notre livre électronique intitulé Preparing Teachers as Curriculum Designers, qui offre un aperçu unique des innovations actuelles dans le domaine de la formation des enseignants en matière de conception de programmes d’études dans tout le pays.
Je reviens à ma question initiale : Que signifie être productif en tant que chercheur ? Si l’on tient compte de la dérivation latine du mot “produce” (c’est-à-dire ” mener “), la construction collaborative des connaissances dans la communauté pendant la conférence de travail qui a conduit à la publication du livre électronique permet de comprendre les recherches actuelles et futures dans le domaine de la formation des enseignants au Canada. Un travail productif, c’est certain.
La 11e conférence de travail de la CATE, intitulée “Apprentissage et enseignement en ligne de la maternelle aux cycles supérieurs”, qui se tiendra virtuellement avec l’Université Mount Royal à Calgary, Alberta, du 14 au 16 octobre 2021, est en bonne voie. Veuillez suivre ce lien pour en savoir plus sur la soumission d’une proposition : https://cate-acfe.ca/fall-working-conference/
Belcher, W. L. (2019). Writing your journal article in twelve weeks: A guide to academic publishing success (2nd ed.). University of Chicago Press.
Black, G. L., Jarvis, D. H., Cantalini-Williams, M. (2021). Engaging teacher candidates in collaborative curriculum design: Education for Innovation (E4I). In J. Nickel & M. Jacobsen (Eds.), Preparing teachers as curriculum designers (pp. 154-190). Canadian Association for Teacher Education. https://cate-acfe.ca/wp-content/uploads/2021/01/Preparing-Teachers-as-Curriculum-Designers_ebook_FINAL.pdf
Brown, E., & Jacobsen, M. (2021). A micropracticum learning design: Bridging content knowledge and participatory field experiences in teacher education. In J. Nickel & M. Jacobsen (Eds.), Preparing teachers as curriculum designers (pp. 122-152). Canadian Association for Teacher Education. https://cate-acfe.ca/wp-content/uploads/2021/01/Preparing-Teachers-as-Curriculum-Designers_ebook_FINAL.pdf
Dakka, F., & Wade, A. (2019). Writing time: A rhythmic analysis of contemporary academic writing, Higher Education Research & Development, 38(1), pp. 185-197. https://doi.org/10.1080/07294360.2018.1540555
Dwyer, A., Lewis, B., McDonald, F., & Burns, M. (2012). It’s always a pleasure: Exploring productivity and pleasure in a writing group for early career academics. Studies in Continuing Education, 34(2), pp. 129-144. https://doi.org/10.1080/0158037X.2011.580734
French, A. (2020). Academic writing as identity-work in higher education: Forming a ‘professional writing in higher education habitus’. Studies in Higher Education, 45(8), pp. 1605-1617. https://doi.org/10.1080/03075079.2019.1572735
Hammond, K. (2020). Threat, drive, and soothe: Learning self-compassion in an academic writing retreat. Higher Education Research & Development. https://doi.org/10.1080/07294360.2020.1830037
Heron, M., Gravett, K., & Yakovchuk, N. (2020): Publishing and flourishing: Writing for desire in higher education. Higher Education Research & Development. https://doi.org/10.1080/07294360.2020.1773770
McMath, S., Britton, V., & Sivia, Awneet. (2021). Using design thinking to cultivate the #Sociallyjustteacher: What can a teacher education program do? In J. Nickel & M. Jacobsen (Eds.), Preparing teachers as curriculum designers (pp. 92-121). Canadian Association for Teacher Education. https://cate-acfe.ca/wp-content/uploads/2021/01/Preparing-Teachers-as-Curriculum-Designers_ebook_FINAL.pdf
Nygaard, L. P. (2017). Publishing and perishing: An academic literacies framework for investigating research productivity. Studies in Higher Education, 42(3), 519-532. https://doi.org/10.1080/03075079.2015.1058351
Produce. (2003). In T. F. Hoad (Ed.), The Concise Oxford Dictionary of English Etymology, Online Version. Oxford University Press.